La route du bonheur
Doni aurait vendu son âme, juste pour pouvoir dormir quelques minutes. Un marteau dans le crâne, un sol instable sous les fesses, un goût de cendrier dans la bouche… Elle aurait fait n’importe quoi pour que le monde se fige autour d’elle, pour que les gens arrêtent de courir, de parler, de bouger. Là, tout de suite, Doni ferait n’importe quoi pour pouvoir cuver sa nuit tranquille.
Il faut dire que la veille Doni avait dignement fêté son dernier jour de boulot à la jardinerie. Libre et heureuse, elle avait rejoint Léa pour une gentille petite soirée entre copines. Une soirée très sage qui s’était terminée en boite de nuit en vue d’une opération « nuit blanche avant le grand départ ».
C’est vers trois heures du matin que la situation leur avait échappé. Juste après leur rencontre avec ce type, grand, mignon, une bouche charnue… et une bouteille de vodka visée dans la main droite : « une arme secrète pour faire tomber les filles » avait-il confessé. Doni n’aurait su dire si l’homme était reparti seul ou accompagné. Devenu trop collant pour elles, les deux copines l’avait juste « oublié » au petit matin.
« Léa !? Tu veux pas aller voir où en est notre train ? Moi, je surveille nos valises. Léa ? » … Léa était affalée à quelques centimètre de là, la tête entre les mains. « Je veux pas prendre ce train, gémit-elle. D’abord je suis bien incapable de bouger, et ensuite quoi ? On va passer cinq heures dans un wagon bondé qui n’arrête pas de tanguer… non vraiment, je crois que je préfère rester ici, affalée par terre. »
Doni avait besoin de réfléchir aux quelques mots prononcés par Léa. Afin de pouvoir mieux se concentrer, l’espace d’un instant, elle ferma les yeux. Elle ne comprit que trop tard son erreur. La terre se mis à tourner, sa tête à pulser. Elle rouvrit les yeux dans l’instant, mais sans plus trop savoir comment faire… elle lutta ainsi une bonne éternité avec ses yeux, jusqu’à réussir enfin à les maitriser de nouveau.
Quelques secondes plus tard, un gros bonbon rose d’une dizaine années vient se camper à quelques centimètres d’elle. Doni sentit son cœur se soulever. Il lui sembla subitement qu’elle baignait dans une pâte à biscuit sucrée, poisseuse. Puis, elle se rendit compte qu’elle avait soif. Sa bouche avait la consistance du carton pâte, une bouche en carton pâte pleine de biscuit poisseux…
Boire devint alors sa seule raison d’être. Doni avait la certitude que sa vie en dépendait. Elle aurait voulu s’immerger toute entière dans une eau claire, s’y baigner goulument. Mais il n’y avait pas une goutte d’eau à l’horizon et sa petite bouteille en plastique était désespérément vide. A quelques mètres de là, un distributeur de bouteilles devient la tentation la plus forte que Doni eut jamais connu. Doni était comme hypnotisée, elle se sentait comme aspirée par son halo bleuté.
« Luciana, viens ici. Ne t’approche pas des sdf ma chérie. » Titubante, agrippée à sa grande bouteille d’eau toute neuve, Doni regarda le bonbon rose poisseux s’éloigner. Victorieuse, elle se laissa alors tomber sur son sac à dos. La terre en trembla si fort que dans son sursaut Léa eue un éclair de lucidité : « Alors, ils disent quoi les panneaux d’affichage ? Il sera là dans combien de temps le train ? »