Le train des souvenirs (2/2)
Ma tante est venue nous rendre visite le week-end dernier. Voici la suite du texte qui illustre son retour chez elle, tel que je l’imagine.
Glissant d’un souvenir à l’autre, A. revoit cette mère lui présenter l’homme. C’était quelques mois après la fin de la guerre. L’homme se tenait là, debout, dans sa cuisine. Avec une expression bizarre, sa mère lui a expliqué que cet homme était son père, qu’aujourd’hui il était revenu de la guerre et qu’il allait dorénavant vivre avec elles. C’était étrange, cet inconnu qui débarquait dans sa vie. Plus tard, sa mère lui avait expliqué que pour elle aussi la situation était étrange : ils s’étaient rencontrés et mariés très peu de temps avant son départ pour le front. Puis il y avait eu la guerre. La mère avait appris un jour que l’homme avait été fait prisonnier. Depuis, elle n’avait plus eu de nouvelles. Alors, son retour… le retour à la maison, d’un homme à peine connu et revenu changé par la guerre… pour elle aussi, la situation était étrange.
Ensuite, il y avait eu le petit frère. Puis, des années plus tard, l’homme de ses rêves était entré dans sa vie. Dès cette époque, il lui raconta son vécu de soldat durant la guerre d’Algérie et son enfance bercée d’histoire de maquis et de résistance contre l’occupation allemande. À partir de cet instant, la présence de cet homme a toujours été pour elle synonyme de bonheur. Oh ! Bien sûr, ils ont connu les coups de gueule et les ras le bol. Mais, au fond, en 44 ans de mariage, cet homme n’a jamais cessé d’être celui sur qui elle pourrait toujours compter. Celui qui, aujourd’hui, n’est plus là qu’à travers quelques photos et ses affaires qui dorment dans les placards de la maison.
Parfois, A. se demande à quel point sa vie aurait été différente, si elle avait accepté de s’exiler en Australie. Son mari n’aurait alors pas travailler toute sa vie dans une usine bourrée d’amiante. Peut-être n’aurait-il pas eu tous ses problèmes de santé, ce cancer… Peut-être serait-il encore là, auprès d’elle… Oui, peut-être…Mais, elle n’avait pas voulu ; l’Australie, cela lui semblait tellement loin. Loin de ses parents, loin de sa famille, loin de tout ce qu’elle connaissait dans ce monde. Et elle ? S’ils étaient partis vivre en Australie, aurait-elle eu à subir ces opérations ? Aurait-elle eu à vivre cette satanée chimio, les heures qu’elle a passées assise à côté des toilettes ou au fond de son lit ? Et le souvenir infâme et indélébile du goût de la bille sur tous les aliments ? Les choses se seraient-elle déroulées autrement si… ?
Le changement de rythme du train rappelle A. de nouveau dans cette réalité. À cet instant, elle se rend compte qu’elle sait : elle sait qu’en descendant de ce train, elle retrouvera ses filles, ses petits-enfants et son arrière petit-fils. Elle sait aussi que demain elle retrouvera ses copines du club, et cet homme qui lui court après depuis quelques temps. Elle sait, encore, qu’elle a devant elle de vrais instants de bonheur. Mais, ce qu’elle sait surtout, c’est qu’elle ne pourra jamais plus les partager avec Lui.
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« Bonjour, maman. Ton voyage c’est bien passé ? » « Oui, ma fille. Tu sais, je suis capable de me débrouiller toute seule ! »
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